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Numéro 10 : salut l’artiste

La retraite récente de Juan Román Riquelme, numéro 10 de la sélection argentine dans les années 2000, nous rappelle que ce genre de poste, ce genre de profil disparaît du football. D’ailleurs, en retraçant sa carrière, on remarquera les mésaventures d’un meneur de jeu dans la sphère mondiale du ballon rond…


« QUE DES NUMEROS 10 DANS MA TEAM » rappe Booba, car ce dernier savait l’importance et l‘élégance ultime que présuppose ce poste dans le football. Pour tant, après le poste de libéro, c’est le second poste qui disparaît peu à peu du monde du ballon rond. Et on remarque que les derniers joueurs correspondant à ce profil ont des carrières en demi-teinte, Riquelme en premier exemple…


D’un début de carrière en fanfare aux désillusions européennes


Juan Román Riquelme est l’enfant de l’enfant de la sélection argentine des années 90 (Batistua, Redondo, Ortega, Simeone, López, Ayala, Crespo, Verón, Zanetti). En effet né en 1978, il passe par l’école (obligatoire auparavant) du club argentin culte Boca Juniors, au côté entre autres de Juan Pablo Sorín. Il sera de l’aventure de France 98, en tant que remplaçant. Puis c’est une montée en puissance, avec titre national en club, Copa Libertadores (l’équivalent de la ligue des champions en Amérique du sud) et surtout le gain de la coupe du monde des clubs face au Real Madrid. Il est alors logiquement titré meilleur joueur sud-américain de l’année. Mais premier couac, il n’est pas sélectionner pour la coupe du monde 2002 (l’Albiceleste est éliminée au premier tour), cela ne l’empêche pas d’arriver à Barcelone après la compétition estivale. Première désillusion, Louis Van Gaal ne lui fait pas confiance, c’est alors à Villareal qu’il montrera tout son talent, entre 2003 et 2007. Il côtoya Diego Forlán et Marcos Senna, gagna une coupe Intertoto et devient même le meilleur joueur de Liga devant Zidane, tout en écrasant la concurrence en sélection nationale (Ariel Ortega parti, ce sont Marcelo Gallardo et Pablo Aimar qui sont ses suppléants). Finissons par une retraite internationale en eau de boudin après le mondial 2006 (beaucoup de critiques à son encontre) bien qu’un titre olympique à Pekin deux ans plus tard (qui est aussi l’unique titre de Leo Messi en équipe nationale) et un retour à Boca Juniors lui donnant un nouveau titre de meilleur joueur sud-américain ainsi qu’un nouveau sacre national et une nouvelle Copa Libertadores.


La grâce en extinction du poste de numéro 10


Si j’avançais que Juan Riquelme avait pris la place de meilleur joueur de Liga à Zinedine Zidane, c’est par un fait particulier : le dernier match en merengue de Zizou s’était déroulé face au Villareal de Riquelme (3-3) où l’argentin s’est révélé le meilleur joueur du match. D’ailleurs, tous deux ont comme marque de fabrique la roulette, conjugué à un jeu de corps (feintes) quoique l’argentin se montre plus rapide, une course de balle qu’aurait inspiré Kaka. Et surtout comme le français, Riquelme était le poumon de son équipe, temporisant le jeu ou l’accélérant, n’hésitant pas à chercher les ballons très bas et faisant preuve de virtuosité par ses dribbles dans les petits espaces. Avant Leo Messi, il y avait donc un autre argentin qui jouait par petites touches de balle afin de garder au plus près le cuir, pour happer ou attirer de nombreux joueurs adverses… Il s’essayait aussi au jeu lobé, avec beaucoup de dextérité, sans fioritures ni excès de zèle. Ajoutons qu’il n’avait pas peur de jouer physique. Mais Zizou et Seedorf partis ; Lampard, Gerrard et Kaka en pré-retraite, ou Sneijder sous-utilisé (il mérite mieux qu’un club turc), la carrière en dents de scie de Riquelme semble prophétique à tout nouveau numéro 10 se révélant au monde.


En effet l’avènement de la formation 4-3-3 ; ou faux 3-5-2 avec le milieu défensif numéro 6 sur la même ligne que les défenseurs centraux et les arrières latéraux en second ailiers (en clair le Barça de Pep Guardiola) ; qui a déjà effacer le poste d’avant-centre classique (on te salue aussi David Trézéguet) ; ne permet plus un poste de meneur de jeu. Le jeu offensif est alors plutôt tourné vers les perforations-accélérations-déflagrations des ailiers excentrés secondés par les latéraux, porté par un trio de milieux, faisant des allers-retours en défense et en attaque (sauf pour le poste 6, à part s’il joue en Angleterre pour le « box to box ») pour un souci de surnombre. Cela privilégie un jeu de petits espaces, de passes courtes doublées-dédoublées-redoublées et une vitesse d’exécution pour se projeter rapidement vers l’avant, tout en pouvant écarter le jeu et l’espace au cas où (en mode« handball »), notamment pour une stratégie ou tactique de dézonage des joueurs. D’où la problématique de Javier Pastore au PSG, de Mesut Ozil au Real Madrid puis à Arsenal, d’Oscar à Chelsea, d’ Henrikh Mkhitaryan au Borussia Dortmund ou de Mario Götze à Bayern Munich qui ont tous besoin de beaucoup de touches de balle. Seul James Rodriguez au Real Madrid (et dans sa sélection nationale, la Colombie), ne semble pas être affecté de son statut de meneur de jeu.


Numéro 8 tu deviendras grand


Alors, après l’attaquant post-moderne alliant technique vitesse et puissance (Ronaldo, Drogba, Eto’o), après l’ailier dribbleur passeur et buteur (Cristiano Ronaldo, Messi, Bale), voici que nous sommes témoins de l’explosion du poste de milieu relayeur, poste 8. Ce sont ces profils qui ont permis les récentes victoires espagnoles (Xavi, Xavi Alonso, Iniesta, Mata, Fabregas), la récente victoire allemande (Kroos), mais aussi la classe italienne (Pirlo, Verratti), l’originalité croate (Modric, Rakitic) l’élégance ivoirienne (Yaya Touré) et pour finir le stade ultime à la française (Paul Pogba ou Abou Diaby). En effet, le poste numéro 8 demande beaucoup d’effort pour être au début et à la fin des actions collectives offensives, tout en étant parfait dans le repli défensive, il peut se permettre des raids solitaires, s’assure une frappe de balle même s’il peut privilégier la passe décisive et surtout il est technique et dribbleur. Il peut par conséquent prendre le jeu à son compte ou jouer sur les ailes. Si ce poste devient le plus important du football, c’est qu’il propose la plus grande polyvalence de jeu.


Je vous rappelle que nous avons célébré la semaine dernière la libération du camp de concentration d’Auschwitz. Alors au risque de paraître grossier et déplacé, l’Occident craint la disparition du dernier concentrationnaire, comme si l’Histoire allait s’arrêter ou n’être plus enseigné, au même titre que les passionnés de football craignent la disparition du dernier numéro 10, le poste le plus beau du football. Dans les deux cas, continuons le travail de mémoire, alors encore salut à toi l’artiste Juan Román Riquelme.


Hamburger Pimp

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